2. La note "centrale"



Si
Mi
La
la         si         do       Ré       mi       fa        sol
Sol
Do
Fa


« D’après la Kabbale, l’Absolu, pour se manifester, se concentra en un point infiniment lumineux, laissant les ténèbres autour de lui ; cette lumière dans les ténèbres, ce point dans l’étendue métaphysique sans bornes, ce rien qui est tout dans un tout qui n’est rien, si l’on peut s’exprimer ainsi, c’est l’Être au sein du Non-Être, la Perfection active dans la Perfection passive. Le point lumineux, c’est l’Unité, affirmation du Zéro métaphysique, qui est représenté par l’étendue illimitée, image de l’infinie Possibilité universelle. L’Unité, dès qu’elle s’affirme, pour se faire le centre d’où émaneront comme de multiples rayons les manifestations indéfinies de l’Être […] »(Remarques sur la production des nombres)



« Le Centre est, avant tout, l’origine, le point de départ de toutes choses ; c’est le point principiel, sans forme et sans dimensions, donc indivisible, et, par suite, la seule image qui puisse être donnée de l’Unité primordiale. De lui, par son irradiation, toutes choses sont produites, de même que l’Unité produit tous les nombres, sans que son essence en soit d’ailleurs modifiée ou affectée en aucune façon. Il y a ici un parallélisme complet entre deux modes d’expression : le symbolisme géométrique et le symbolisme numérique, de telle sorte qu’on peut les employer indifféremment et qu’on passe même de l’un à l’autre de la façon la plus naturelle. Il ne faut pas oublier, du reste, que, dans un cas aussi bien que dans l’autre, c’est toujours de symbolisme qu’il s’agit : l’unité arithmétique n’est pas l’Unité métaphysique, elle n’en est qu’une figure, mais une figure dans laquelle il n’y a rien d’arbitraire, car il existe entre l’une et l’autre une relation analogique réelle, et c’est cette relation qui permet de transposer l’idée de l’Unité au delà du domaine de la quantité, dans l’ordre transcendantal. Il en est de même de l’idée du Centre ; celle-ci aussi est susceptible d’une semblable transposition, par laquelle elle se dépouille de son caractère spatial, qui n’est plus évoqué qu’à titre de symbole : le point central, c’est le Principe, c’est l’Être pur ; et l’espace qu’il emplit de son rayonnement, et qui n’est que par ce rayonnement même (le Fiat Lux de la Genèse), sans lequel cet espace ne serait que « privation » et néant, c’est le Monde au sens le plus étendu de ce mot, l’ensemble de tous les êtres et de tous les états d’existence qui constituent la manifestation universelle. […]

« Mais revenons aux significations du Centre, car, jusqu’ici, nous n’avons en somme exposé que la première de toutes, celle qui en fait l’image du Principe ; nous allons en trouver une autre dans le fait que le Centre est proprement le « milieu », le point équidistant de tous les points de la circonférence, et qui partage tout diamètre en deux parties égales. Dans ce qui précède, le Centre était considéré en quelque sorte avant la circonférence, qui n’a de réalité que par son rayonnement ; maintenant, il est envisagé par rapport à la circonférence réalisée, c’est-à-dire qu’il s’agit de l’action du Principe au sein de la création. Le milieu entre les extrêmes représentés par des points opposés de la circonférence, c’est le lieu où les tendances contraires, aboutissant à ces extrêmes, se neutralisent pour ainsi dire et sont en parfait équilibre. Certaines écoles d’ésotérisme musulman, qui attribuent à la croix une valeur symbolique de la plus grande importance, appellent « station divine » (maqâmul-ilahi) le centre de cette croix, qu’elles désignent comme le lieu où s’unifient tous les contraires, où se résolvent toutes les oppositions. L’idée qui s’exprime plus particulièrement ici, c’est donc l’idée d’équilibre, et cette idée ne fait qu’un avec celle d’harmonie ; ce ne sont pas deux idées différentes, mais seulement deux aspects d’une même idée. Il est encore un troisième aspect de celle-ci, plus spécialement lié au point de vue moral (bien que susceptible de recevoir aussi d’autres significations), et c’est l’idée de justice ; on peut, par là, rattacher à ce que nous disons ici la conception platonicienne suivant laquelle la vertu consiste dans un juste milieu entre deux extrêmes. À un point de vue beaucoup plus universel, les traditions extrême-orientales parlent sans cesse de l’« Invariable Milieu », qui est le point où se manifeste l’« Activité du Ciel » ; et, suivant la doctrine hindoue, au centre de tout être, comme de tout état de l’existence cosmique, réside un reflet du Principe suprême.

« L’équilibre lui-même, d’ailleurs, n’est à vrai dire que le reflet, dans l’ordre de la manifestation, de l’immutabilité absolue du Principe ; pour envisager les choses sous ce nouveau rapport, il faut regarder la circonférence comme étant en mouvement autour de son centre, qui seul ne participe pas à ce mouvement. Le nom même de la roue (rota) évoque immédiatement l’idée de rotation ; et cette rotation est la figure du changement continuel auquel sont soumises toutes choses manifestées ; dans un tel mouvement, il n’y a qu’un point unique qui demeure fixe et immuable, et ce point est le Centre. Ceci nous ramène aux conceptions cycliques dont nous avons dit quelques mots précédemment : le parcours d’un cycle quelconque, ou la rotation de la circonférence, est la succession, soit sous le mode temporel, soit sous tout autre mode ; la fixité du centre est l’image de l’éternité, où toutes choses sont présentes en parfaite simultanéité. La circonférence ne peut tourner qu’autour d’un centre fixe ; de même, le changement, qui ne se suffit pas à lui-même, suppose nécessairement un principe qui est en dehors du changement : c’est le « moteur immobile » d’Aristote […], qui est encore représenté par le Centre. Le Principe immuable est donc en même temps, et par là même que tout ce qui existe, tout ce qui change ou se meut, n’a de réalité que par lui et dépend totalement de lui, il est, disons-nous, ce qui donne au mouvement son impulsion première, et aussi ce qui ensuite le gouverne et le dirige, ce qui lui donne sa loi, la conservation de l’ordre du Monde n’étant en quelque sorte qu’un prolongement de l’acte créateur. Il est, suivant une expression hindoue, l’« ordonnateur interne » (antar-yâmî), car il dirige toutes choses de l’intérieur, résidant lui-même au point le plus intérieur de tous, qui est le Centre. […]

« Nous n’avons pas encore fini d’indiquer toutes les significations du Centre : s’il est d’abord un point de départ, il est aussi un point d’aboutissement ; tout est issu de lui, et tout doit finalement y revenir. Puisque toutes choses n’existent que par le Principe et ne sauraient subsister sans lui, il doit y avoir entre elles et lui un lien permanent, figuré par les rayons joignant au centre tous les points de la circonférence ; mais ces rayons peuvent être parcourus en deux sens opposés : d’abord du centre à la circonférence, et ensuite de la circonférence en retour vers le centre. Il y a là comme deux phases complémentaires, dont la première est représentée par un mouvement centrifuge et la seconde par un mouvement centripète ; ces deux phases peuvent être comparées à celles de la respiration, suivant un symbolisme auquel se réfèrent souvent les doctrines hindoues ; et, d’autre part, il s’y trouve aussi une analogie non moins remarquable avec la fonction physiologique du cœur. En effet, le sang part du cœur, se répand dans tous l’organisme qu’il vivifie, puis revient au cœur ; le rôle de celui-ci comme centre organique est donc vraiment complet et correspond entièrement à l’idée que nous devons, d’une façon générale, nous faire du Centre dans la plénitude de sa signification. […]


« En résumé, le Centre est à la fois le principe et la fin de toutes choses ; il est, suivant un symbolisme bien connu, l’alpha et l’oméga. Mieux encore, il est le principe, le milieu et la fin […] » [L'Idée du Centre dans les Traditions antiquesL'Idée du Centre dans les Traditions antiques]

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.