3. La dualité du "bémol" et du "dièse"



Le dédoublement des notes en octaves et les deux forces qui en résultent: la tension vers le "bémol" et la tension vers le "dièse":
Ce diagramme peut laisser entrevoir ce qui fut probablement la véritable raison d'être de la distinction plagal/authente au moyen-âge : la quarte plagale ré-sol et la quinte authente ré-la seraient respectivement bémol et dièse.


« […] la distance de deux points immédiatement voisins […] peut être regardée comme la limite de l’étendue dans le sens des quantités indéfiniment décroissantes ; en d’autres termes, elle est la plus petite étendue possible, ce après quoi il n’y a plus d’étendue, c’est-à-dire plus de condition spatiale, et on ne pourrait la supprimer sans sortir du domaine d’existence qui est soumis à cette condition. Donc, lorsqu’on divise l’étendue indéfiniment [1], et lorsqu’on pousse cette division aussi loin qu’il est possible, c’est-à-dire jusqu’aux limites de la possibilité spatiale par laquelle la divisibilité est conditionnée (et qui est d’ailleurs indéfinie dans le sens décroissant comme dans le sens croissant), ce n’est pas au point qu’on aboutit comme résultat ultime, mais bien à la distance élémentaire entre deux points. Il résulte de là que, pour qu’il y ait étendue ou condition spatiale, il faut qu’il y ait déjà deux points, et l’étendue (à une dimension) qui est réalisée par leur présence simultanée, et qui est précisément leur distance, constitue un troisième élément qui exprime la relation existant entre ces deux points, les unissant et les séparant à la foi. D’ailleurs, cette distance, en tant qu’on la considère comme une relation, n’est évidemment pas composée de parties, car ces parties en lesquelles elle pourrait être résolue, si elle le pouvait, ne seraient que d’autres relations de distance, dont elle est logiquement indépendante, comme, au point de vue numérique, l’unité est indépendante des fractions. Ceci est vrai pour une distance quelconque, lorsqu’on ne l’envisage que par rapport aux deux points qui sont ses extrémités, et l’est a fortiori pour une distance infinitésimale, qui n’est nullement une quantité définie, mais qui exprime seulement une relation spatiale entre deux points immédiatement voisins, tels que deux points consécutifs d’une ligne quelconque. D’autre part, les points eux-mêmes, considérés comme extrémités d’une distance, ne sont pas des parties du continu spatial, bien que la relation de distance suppose qu’ils sont envisagés comme situés dans l’espace ; c’est donc, en réalité, la distance qui est le véritable élément spatial.

« Par conséquent, on ne peut pas dire, en toute rigueur, que la ligne soit formée de points, et cela se comprend aisément, car, chacun des points étant sans étendue, leur simple addition, même s’ils sont en multitude indéfinie, ne peut jamais former une étendue ; la ligne est en réalité constituée par les distances élémentaires entre ses points consécutifs. […]

« Cependant, l’élément primordial, celui qui existe par lui-même, c’est le point, puisqu’il est présupposé par la distance et que celle-ci n’est qu’une relation ; l’étendue elle-même présuppose donc le point. On peut dire que celui-ci contient en soi une virtualité d’étendue, qu’il ne peut développer qu’en se dédoublant d’abord, pour se poser en quelque façon en face de lui-même, puis en se multipliant (ou mieux en se sous-multipliant) indéfiniment, de telle sorte que l'étendue manifestée procède tout entière de sa différenciation, ou, pour parler plus exactement, de lui-même en tant qu’il se différencie. Cette différenciation n’a d’ailleurs de réalité qu’au point de vue de la manifestation spatiale ; elle est illusoire au regard du point principiel lui-même, qui ne cesse pas par là d’être en soi tel qu’il était, et dont l’unité essentielle ne saurait en être aucunement affectée [2]. Le point, considéré en soi, n’est aucunement soumis à la condition spatiale, puisque, au contraire, il en est le principe : c’est lui qui réalise l’espace, qui produit l’étendue par son acte, lequel, dans la condition temporelle (mais dans celle-là seulement), se traduit par le mouvement ; mais, pour réaliser ainsi l’espace, il faut que, par quelqu’une de ses modalités, il se situe lui-même dans cet espace, qui d’ailleurs n’est rien sans lui, et qu’il remplira tout entier du déploiement de ses propres virtualités [3]» (Le symbolisme de la Croix, chap. XVI)



« […] si donc le monde physique a deux « parents », comme dit M. Lasbax [dans son livre Le problème du mal], c’est par analogie avec la manifestation universelle tout entière, qui a aussi deux « parents », ou, pour parler plus exactement et sans anthropomorphisme, deux principes générateurs [4].

« Les deux principes dont il s’agit maintenant sont proprement les deux pôles entre lesquels se produit toute manifestation ; ils sont ce que nous pouvons appeler « essence » et « substance », en entendant ces mots au sens métaphysique, c’est-à-dire universel, distingué de l’application analogique qui pourra ensuite en être faite aux existences particulières. Il y a là comme un dédoublement ou une polarisation de l’être même, non pas « en soi », mais par rapport à la manifestation, qui serait inconcevable autrement ; et l’unité de l’être pur n’est point affectée par cette première distinction, pas plus qu’elle ne le sera par la multitude des autres distinctions contingentes qui en dériveront. […]

« Cette conception de la première dualité se retrouve dans des doctrines qui revêtent les formes les plus différentes : ainsi, en Chine, c’est la dualité des principes Yang, masculin et Yin, féminin ; dans le Sânkhya de l’Inde, c’est celle de Purusha et de Prakriti ; chez Aristote, celle de l’acte pur et de la puissance pure. Ces deux principes complémentaires ont leur expression relative dans chaque ordre d’existence, et aussi dans chaque être particulier : pour nous servir ici du langage aristotélicien, tout être contient une certaine part d’acte et une certaine part de puissance, ce qui le constitue comme un composé de deux éléments, correspondant analogiquement aux deux principes de la manifestation universelle[...] » (Les dualités cosmiques)



« On peut donc parler, soit de la double action d’une force unique, […] soit de deux forces produites par polarisation de celle-ci et centrées sur les deux pôles, et produisant à leur tour, par les actions et réactions qui résultent de leur différenciation même, le développement des virtualités enveloppées dans l’« Œuf du Monde », développement qui comprend toutes les modifications des « dix mille êtres » [5]. » (La Grande Triade, chap. V)


« [...]chaque point de l’étendue est centre en puissance[...] »
(Le symbolisme de la croix, chap.XX)

En poursuivant le cycle des quintes jusqu'au triton, on obtient des notes de plus en plus instables et déséquilibrées, sous le rapport du « dièse » et du « bémol »,  par rapport à une note prise comme centre de référence.

En continuant ce diagramme jusqu'à former un cycle complet, on obtient les shrutis hindous, comme on peut le voir à la page suivante.







[1] Nous disons « indéfiniment », mais non « à l’infini », ce qui serait une absurdité, la divisibilité étant nécessairement un attribut propre à un domaine limité, puisque la condition spatiale, dont elle dépend, est elle-même essentiellement limitée ; il faut donc qu’il y ait une limite à la divisibilité, comme à toute relativité ou détermination quelconque, et nous pouvons avoir la certitude que cette limite existe, alors même qu’elle ne nous est pas actuellement accessible.

[2] Si la manifestation spatiale disparaît, tous les points situés dans l’espace se résorbent dans le point principiel unique, puisqu’il n’y a plus entre eux aucune distance.

[3] Leibnitz a distingué avec raison ce qu’il appelle les « points métaphysiques », qui sont pour lui les véritables « unités de substance », et qui sont indépendants de l’espace, et les « points mathématiques », qui ne sont que de simples modalités des précédents, en tant qu’ils en sont des déterminations spatiales, constituant leurs « points de vue » respectifs pour représenter ou exprimer l’Univers. Pour Leibnitz aussi, c’est ce qui est situé dans l’espace qui fait toute la réalité actuelle de l’espace lui-même ; mais il est évident qu’on ne saurait rapporter à l’espace, comme il le fait, tout ce qui constitue, en chaque être, l’expression de l’Univers total.

[4] La théorie de la « naissance de l’univers », telle que l’expose M. Lasbax, permettrait encore d’intéressants rapprochements avec des symboles comme celui de l’« oeuf du monde », qui se rencontrent dans la cosmogonie hindoue et dans bien d’autres traditions anciennes ; ces symboles sont d’ailleurs applicables à toute la manifestation universelle, aussi bien qu’à l’une quelconque de ses modalités prise à part.

[5] Ceux qui se plaisent à chercher des points de comparaison avec les sciences profanes pourraient, pour une application d’ordre « microcosmique », rapprocher ces figurations du phénomène de la « caryokinèse », point de départ de la division cellulaire ; mais il est bien entendu que, pour notre part, nous n’attribuons à tous les rapprochements de ce genre qu’une importance fort relative.

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