3. La rupture du XIVème siècle

La rupture du XIVème siècle et une de ses conséquences : la destruction progressive de tous les rapports logiques.

« Quoi qu’il en soit, nous sommes tout à fait d’accord avec M. Albert Bernet, lorsqu’il dit que le « point sensible » doit exister dans toutes les cathédrales qui ont été construites suivant les règles véritables de l’art, et aussi lorsqu’il déclare qu’« il faut surtout en user au point de vue symbolique ». Il y a, à ce sujet, un rapprochement curieux à faire : Wronski affirmait qu’il y a dans tout corps un point tel, que, s’il est atteint, le corps tout entier est par là même désagrégé aussitôt, volatilisé en quelque sorte, toutes ses molécules étant dissociées ; et il prétendait avoir trouvé le moyen de déterminer par le calcul la position de ce centre de cohésion. N’est-ce pas là, surtout si on l’envisage symboliquement comme nous pensons qu’on doit le faire, la même chose exactement que le « point sensible » des cathédrales ?

« La question, sous sa forme la plus générale, est celle de ce qu’on pourrait appeler le « noeud-vital », existant dans tout composé, comme point de jonction de ses éléments constitutifs. La cathédrale construite selon les règles forme un véritable ensemble organique, et c’est pourquoi elle a, elle aussi, un « nœud vital ». »

« […] la civilisation moderne souffre d’un manque de principes, et elle en souffre dans tous les domaines ; par une prodigieuse anomalie, elle est, seule entre toutes les autres, une civilisation qui n’a pas de principes, ou qui n’en a que de négatifs, ce qui revient au même. C’est comme un organisme décapité qui continuerait à vivre d’une vie tout à la fois intense et désordonnée ; les sociologues, qui aiment tant à assimiler les collectivités aux organismes (et souvent d’une façon tout à fait injustifiée), devraient bien réfléchir un peu sur cette comparaison. L’intellectualité pure étant supprimée, chaque domaine spécial et contingent est regardé comme indépendant ; l’un empiète sur l’autre, tout se mêle et se confond dans un chaos inextricable ; les rapports naturels sont intervertis, ce qui devrait être subordonné s’affirme autonome, toute hiérarchie est abolie au nom de la chimérique égalité, dans l’ordre mental comme dans l’ordre social ; et, comme l’égalité est malgré tout impossible en fait, il se crée de fausses hiérarchies, dans lesquelles on met au premier rang n’importe quoi […] » (Les dualités cosmiques)

« Ceci nous amène directement à parler du second rôle des « gardiens » du Centre suprême, rôle qui consiste, disions-nous tout à l’heure, à assurer certaines relations extérieures, et surtout, ajouterons-nous, à maintenir le lien entre la tradition primordiale et les traditions secondaires et dérivées […] on peut comprendre, dans ces conditions, que la destruction de l’ordre du Temple ait entraîné pour l’Occident la rupture des relations régulières avec le « Centre du Monde » ; et c’est bien au XIVe siècle qu’il faut faire remonter la déviation qui devait inévitablement résulter de cette rupture, et qui est allée en s’accentuant graduellement jusqu’à notre époque. » (Les gardiens de la Terre Sainte)

En musique, la rupture avec le Centre eut son expression dans la rupture avec la « note centrale » et son corrélatif : l'apparition « d'unités » nouvelles, les accords, dont les divers éléments qui les composent n'eurent plus à se résoudre dans cette note principielle. Dès lors, l'histoire de la musique occidentale consista pour une grande part en un empilement de plus en plus en plus grand de notes les unes sur les autres, ce qui, d'un point de vue non pas « sensitif » mais logique, est comparable à l'effondrement d'un château de carte, car les relations qui à la fois unissent et distinguent les notes entre elles s'entendent surtout lorsque ces notes sont jouées successivement, et non pas simultanément. D'ailleurs, dans le cours de l'histoire de la musique moderne, ce qu'on appelle les « règles contrapuntiques », qui exprimaient ces relations, et qui étaient au départ d'une grande rigueur, allèrent en s'amenuisant progressivement jusqu'à devenir pratiquement inexistantes. 

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