Sur L'esthétisme


[...] Il est un autre côté de la question, dont nous n’avons rien dit précédemment, et sur lequel il nous paraît nécessaire d’insister aussi quelque peu : nous voulons parler de la connexion qui existe, chez les Occidentaux, entre le « cérémonialisme » et ce qu’on peut appeler l’« esthétisme ». Par ce dernier mot, nous entendons naturellement la mentalité spéciale qui procède du point de vue « esthétique » ; celui-ci s’applique tout d’abord et plus proprement à l’art, mais il s’étend peu à peu à d’autres domaines et finit par affecter d’une « teinte » particulière la façon qu’ont les hommes d’envisager toutes choses. On sait que la conception « esthétique » est, comme son nom l’indique d’ailleurs, celle qui prétend tout réduire à une simple question de « sensibilité » ; c’est la conception moderne et profane de l’art, qui, comme A. K. Coomaraswamy l’a montré dans de nombreux écrits, s’oppose à sa conception normale et traditionnelle ; elle élimine de ce à quoi elle s’applique toute intellectualité, on pourrait même dire toute intelligibilité, et le beau, bien loin d’être la « splendeur du vrai » comme on le définissait jadis, s’y réduit à n’être plus que ce qui produit un certain sentiment de plaisir, donc quelque chose de purement « psychologique » et « subjectif ». Il est dès lors facile de comprendre comment le goût des cérémonies se rattache à cette façon de voir, puisque, précisément, les cérémonies n’ont que des effets de cet ordre « esthétique » et ne sauraient en avoir d’autres ; elles sont, tout comme l’art moderne, quelque chose qu’il n’y a pas lieu de chercher à comprendre et où il n’y a aucun sens plus ou moins profond à pénétrer, mais par quoi il suffit de se laisser « impressionner » d’une façon toute sentimentale. Tout cela n’atteint donc, dans l’être psychique, que la partie la plus superficielle et la plus illusoire de toutes, celle qui varie non seulement d’un individu à un autre, mais aussi chez le même individu suivant ses dispositions du moment ; ce domaine sentimental est bien, sous tous les rapports, le type le plus complet et le plus extrême de ce qu’on pourrait appeler la « subjectivité » à l’état pur [1].[...]

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[1] Nous n’avons pas à parler ici de certaines formes de l’art moderne, qui peuvent produire des effets de déséquilibre et même de « désagrégation » dont les répercussions sont susceptibles de s’étendre beaucoup plus loin ; il ne s’agit plus alors seulement de l’insignifiance, au sens propre du mot, qui s’attache à tout ce qui est purement profane, mais bien d’une véritable œuvre de « subversion ».

(extrait de l'article intitulé Cérémonialisme et esthétisme)

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