« Où
il y aurait peut-être quelques réserves à faire, c’est lorsqu’il
considère l’Église catholique, non seulement comme victime, mais
aussi comme responsable en un certain sens de ce « progrès »,
c’est-à-dire en somme de la déviation moderne ; nous comprenons
bien que ce qu’il lui reproche à cet égard, c’est d’avoir
négligé les « sciences sacrées », à l’exception de la seule
théologie, mais la faute en est peut-être plutôt à l’esprit
occidental en général. Quoiqu’il en soit, il est malheureusement
vrai que, dans le Christianisme, les rapports entre les deux domaines
exotérique et ésotérique semblent n’avoir jamais été établis
en fait d’une façon parfaitement normale comme ils l’ont été
dans d’autres traditions ; il faut reconnaître qu’il y a là une
sorte de « lacune » assez singulière, qui tient sans doute à des
raisons multiples et complexes (l’absence d’une langue sacrée
propre à la tradition chrétienne, par exemple, pourrait bien en
être une), et dont l’explication pourrait d’ailleurs mener assez
loin, car, au fond, c’est là ce qui fait que, à aucune époque,
la « Chrétienté » n’a jamais pu se réaliser complètement. »
« D’après
la tradition kabbalistique, parmi ceux qui pénétrèrent dans le
Pardes,
il en est certains qui « ravagèrent le jardin », et il est dit que
ces ravages consistèrent plus précisément à « couper les racines
des plantes ». Pour comprendre ce que cela signifie, il faut se
référer avant tout au symbolisme de l’arbre inversé, dont nous
avons déjà parlé en d’autres occasions : les racines sont en
haut, c’est-à-dire dans le Principe même ; couper ces racines,
c’est donc considérer les « plantes », ou les êtres qu’elles
symbolisent, comme ayant en quelque sorte une existence et une
réalité indépendantes du Principe. [...] les anges, en effet, sont
bien véritablement « déchus » lorsqu’ils sont envisagés de
cette façon, puisque c’est de leur participation au Principe
qu’ils tiennent en réalité tout ce qui constitue leur être, si
bien que, quand cette participation est méconnue, il ne reste plus
qu’un aspect purement négatif qui est comme une sorte d’ombre
inversée par rapport à cet être même [2].
« Suivant
la conception orthodoxe, un ange, en tant qu’« intermédiaire
céleste », n’est pas autre chose au fond que l’expression même
d’un attribut divin dans l’ordre de la manifestation informelle,
car c’est là seulement ce qui permet d’établir, à travers lui,
une communication réelle entre l’état humain et le Principe même,
dont il représente ainsi un aspect plus particulièrement accessible
aux êtres qui sont dans cet état humain. […] Tant que cette
signification n’est pas perdue de vue, les « racines » ne peuvent
donc pas être « coupées » ; on pourrait dire, par suite, que
l’erreur à cet égard, faisant croire que le nom divin appartient
en propre à l’ange comme tel et en tant qu’être « séparé »,
ne devient possible que quand l’intelligence de la langue sacrée
vient à s’obscurcir, et, si l’on se rend compte de tout ce que
ceci implique en réalité, on pourra comprendre que cette remarque
est susceptible d’un sens beaucoup plus profond qu’il ne le
paraît peut-être à première vue. » [3]
__________________________________
[1] Dénoncé au moyen-âge lui-même par les
cisterciens : cf. La réforme cistercienne du plain-chant,
de Claire Maître.
[2] On pourrait
dire, et peu importe que ce soit littéralement ou symboliquement,
que, dans ces conditions, celui qui croit faire appel à un ange
risque fort de voir au contraire un démon apparaître devant lui.
[3] On sait le rôle qu'eurent, dans les débuts de
l'ars nova, les
philosophes nominalistes, pour qui la forme symbolique est arbitraire
et sans rapport véritable avec l'idée qu'elle représente. (Cette note n'est pas de René Guénon)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.