2. L'absence de langue sacrée

Une des causes de la rupture avec la tradition: l'absence de langue sacrée en occident et sa conséquence : le flou rythmique et modal du plain-chant. [1]

« Où il y aurait peut-être quelques réserves à faire, c’est lorsqu’il considère l’Église catholique, non seulement comme victime, mais aussi comme responsable en un certain sens de ce « progrès », c’est-à-dire en somme de la déviation moderne ; nous comprenons bien que ce qu’il lui reproche à cet égard, c’est d’avoir négligé les « sciences sacrées », à l’exception de la seule théologie, mais la faute en est peut-être plutôt à l’esprit occidental en général. Quoiqu’il en soit, il est malheureusement vrai que, dans le Christianisme, les rapports entre les deux domaines exotérique et ésotérique semblent n’avoir jamais été établis en fait d’une façon parfaitement normale comme ils l’ont été dans d’autres traditions ; il faut reconnaître qu’il y a là une sorte de « lacune » assez singulière, qui tient sans doute à des raisons multiples et complexes (l’absence d’une langue sacrée propre à la tradition chrétienne, par exemple, pourrait bien en être une), et dont l’explication pourrait d’ailleurs mener assez loin, car, au fond, c’est là ce qui fait que, à aucune époque, la « Chrétienté » n’a jamais pu se réaliser complètement. »



« D’après la tradition kabbalistique, parmi ceux qui pénétrèrent dans le Pardes, il en est certains qui « ravagèrent le jardin », et il est dit que ces ravages consistèrent plus précisément à « couper les racines des plantes ». Pour comprendre ce que cela signifie, il faut se référer avant tout au symbolisme de l’arbre inversé, dont nous avons déjà parlé en d’autres occasions : les racines sont en haut, c’est-à-dire dans le Principe même ; couper ces racines, c’est donc considérer les « plantes », ou les êtres qu’elles symbolisent, comme ayant en quelque sorte une existence et une réalité indépendantes du Principe. [...] les anges, en effet, sont bien véritablement « déchus » lorsqu’ils sont envisagés de cette façon, puisque c’est de leur participation au Principe qu’ils tiennent en réalité tout ce qui constitue leur être, si bien que, quand cette participation est méconnue, il ne reste plus qu’un aspect purement négatif qui est comme une sorte d’ombre inversée par rapport à cet être même [2].




« Suivant la conception orthodoxe, un ange, en tant qu’« intermédiaire céleste », n’est pas autre chose au fond que l’expression même d’un attribut divin dans l’ordre de la manifestation informelle, car c’est là seulement ce qui permet d’établir, à travers lui, une communication réelle entre l’état humain et le Principe même, dont il représente ainsi un aspect plus particulièrement accessible aux êtres qui sont dans cet état humain. […] Tant que cette signification n’est pas perdue de vue, les « racines » ne peuvent donc pas être « coupées » ; on pourrait dire, par suite, que l’erreur à cet égard, faisant croire que le nom divin appartient en propre à l’ange comme tel et en tant qu’être « séparé », ne devient possible que quand l’intelligence de la langue sacrée vient à s’obscurcir, et, si l’on se rend compte de tout ce que ceci implique en réalité, on pourra comprendre que cette remarque est susceptible d’un sens beaucoup plus profond qu’il ne le paraît peut-être à première vue. » [3]


__________________________________

[1] Dénoncé au moyen-âge lui-même par les cisterciens : cf. La réforme cistercienne du plain-chant, de Claire Maître.

[2] On pourrait dire, et peu importe que ce soit littéralement ou symboliquement, que, dans ces conditions, celui qui croit faire appel à un ange risque fort de voir au contraire un démon apparaître devant lui.

[3] On sait le rôle qu'eurent, dans les débuts de l'ars nova, les philosophes nominalistes, pour qui la forme symbolique est arbitraire et sans rapport véritable avec l'idée qu'elle représente. (Cette note n'est pas de René Guénon)



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.